Chapitre n°2
Chris ne savait pas quoi lui dire. Quel que soit le sujet de conversation et surtout s’il concernait son père, Adam risquait de se mettre en colère.
_ Bon ! essaya Chris pour le dérider un peu. Il nous reste une semaine et après c’est les vacances…
Mais cela n’obtint pas l’effet escompté puisqu’Adam ronchonna :
_ Oui, une semaine à supporter monsieur « Compte Epargne » !
_ Oui… mais bon ! Après, c’est deux mois de vacances et ton monsieur « Compte Epargne » sera loin, loin, loin… dit Chris en faisant de grands gestes de la main.
_ Mouais… grimaça Adam.
C’est alors qu’ils entendirent le téléphone sonner et la mère de Chris crier:
_ Adam ! C’est ta mère ! Elle demande quand tu te décideras à rentrer !
Madame Jolden était visiblement habituée à ce que ce genre de dispute arrive entre ces deux là.
_ Bientôt !
Adam aurait bien ajouté un petit mot désagréable à propos du Docteur Minch mais il se retint. Il promit juste d’être bientôt de retour pour ne pas l’inquiéter. Eléonore savait son fils capable de rentrer tard dans la nuit pour ne pas avoir à la croiser.
_ Et puis demain il y a cours… je ne peux pas manquer ça ! ajouta-t-il sans sourire.
Adam décida de rester manger le midi chez son ami. Il revint à la maison sur le coup de six heures.
Il ouvrit doucement la porte et alla directement dans sa chambre. C’est là qu’il passa tranquillement le reste de la soirée. Même les voix et les cauchemars ne l’empêchèrent pas de tomber dans un sommeil profond et paisible.
*
Le lendemain, à huit heures moins le quart, Adam et Chris se retrouvèrent au collège qui se nommait les Deux Rivières, du nom de la ville où ils vivaient, Belleville les Deux Rivières. Adam s’étaient toujours demandé pourquoi, étant donné qu’il n’y avait qu’une seule rivière.
En entrant dans le collège, ils entendirent des rires derrière eux :
_ Ah Ah Ah Ah… regardez les amis, voici les fifils à leur môman…
A ces mots, Adam se jeta sur l’un d’eux qui n’était autre que Jeffrey Maïnon, son pire ennemi. Ce dernier, un rouquin aux yeux verts, avait la même taille qu’Adam et une peau très blanche piquée par quelques tâches de rousseur. Il portait un T-shirt rouge et un jogging blanc.
_ Répète ça, Maïnon et tu vas voir !
Adam était fou de rage et près à lui casser la figure. Cependant, le combat était à peine engagé que les surveillants du collège séparaient les deux garçons :
_ Adam ! Jeffrey ! Au bureau !
Dans le bureau du directeur, Jeffrey n’eut aucun mal à se comporter en victime. Il était tout courbé et implorant :
_ Oui Monsieur, Adam s’est jeté sur moi et…
_ ... et je recommencerai volontiers… marmonna ce dernier entre ses dents.
Le directeur, un homme d’une quarantaine d’année au ventre imposant, avait une petite moustache et des cheveux bruns qui ne masquaient que partiellement un début de calvitie. Il lança un regard furieux vers les protagonistes :
_ Bon ! Ecoutez-moi bien vous deux ! Ne recommencez plus !
Après une courte pause, il continua en faisant de grands gestes. « Vous pouvez partir Jeffrey ! Mais vous Adam, restez ! »
Jeffrey sortit avec un sourire moqueur. Il lança à voix basse à Adam :
_ Bonne chance…
Le directeur invita ce dernier à s’asseoir :
_ Adam… soupira-t-il en le regardant d’un air désolé.
Mais le jeune garçon restait impassible, regardant devant lui, les bras et les jambes croisés. Il ne voulait pas entendre ce que le directeur avait à lui dire. Il n’était d’ailleurs pas d’humeur à écouter son beau discours qu’il ressentait comme du baratin. Il se contentait de fixer le sol en faisant la moue.
Bref, Adam se comportait comme si le directeur n’était pas là. Jusqu’à ce que ce dernier se risque à lui parler de son père. Il connaissait bien la mère d’Adam et il n’ignorait pas que le jeune garçon n’avait jamais connu l’homme qui avait quitté Eléonore juste avant sa naissance.
Adam leva la tête et le coupa sèchement :
_ NE ME PARLEZ PAS DE LUI ! VOUS N’AVEZ AUCUN DROIT !
Ravi d’avoir retenu son attention, l’homme dit paisiblement :
_ Je vois…
Il avait mis le doigt sur un point sensible et il l’avait fait exprès.
Adam était renfermé et d’un caractère difficile à cerner. L’absence de père avait dû y être pour beaucoup, se disait-il. C’était la première fois que le directeur voyait un élève souffrant d’un manque aussi exacerbé d’image paternelle.
_ Pourquoi te cacher derrière cette violence ? demanda-t-il calmement.
Mais Adam ne voulait pas se confier :
_ En quoi cela vous regarde-t-il ? Ce sont mes affaires ! Pas les vôtres !
Il tournait en rond comme un lion en cage. Il voulait sortir au plus vite.
_ Assieds-toi…
Mais Adam restait debout, face à lui. Espérant que cet entretient serait rapidement terminé :
_ Je n’ai pas envie d’en discuter ! Et je veux que pour une fois, on me fiche la paix avec cette histoire ! Est-ce que c’est trop vous demander ?
Le matin même, il s’était levé très tôt. Evitant ainsi le sujet fâcheux de la veille. A son réveil, sa mère s’était vite aperçue qu’il était déjà parti.
Le directeur, voyant qu’Adam voulait en rester là, le laissa filer à regret.
Cependant, à peine sorti du bureau, une vision de vent et de flammes se déchaînant traversa l’esprit du jeune garçon. Et, accompagnées d’un mal de crâne atroce, il entendait des voix qui n’en finissaient pas de murmurer : « Lève-toi guerrier … Soulève le vent qui est en toi… »
Après s’être assuré qu’il n’y avait personne aux alentours, Adam déclara à haute voix:
_Je me lèverai quand bon me semblera…
*
Si les deux premières heures se passèrent sans encombre, cela se détériora ensuite durant le cours de mathématique : Adam fût pris d’un terrible mal de tête accompagné de frissons. Il était incapable de se concentrer sur sa feuille de devoir.
Il voulait rester calme. Mais sa fureur était si grande qu’il ne le pouvait pas.
La colère le submergea si intensément que le vent commença à se déchaîner au dehors, comme s’il était le reflet de sa tempête intérieure.
Les yeux fixés sur sa feuille d’examen à peine terminée, il visualisa une tornade. Au fond de lui, il la voyait tout détruire sur son passage, y compris la maison des Maïnons d’où parvenaient des appels au secours.
Ces pensées furent cependant interrompues par le directeur qui entrait dans la salle de classe, affolé :
_ Jeffrey Maïnon ! Venez vite avec moi !
L’élève étonné le suivit sagement.
Une minute plus tard, la porte à peine refermée, le cri du jeune garçon fit sursauter toute la classe.
Ce qui était arrivé à Jeffrey ne tarda pas à faire le tour du collège. Adam était le seul qui ne savait rien. Il s’en moquait. Peu lui importait ce qu’il s’était passé. Le fait que la chose soit grave le comblait pleinement.
Et c’est Chris qui, tout sourire, lui annonça la nouvelle, avant de rentrer chez lui. Il rejoignit Adam assis sur un banc, en train de fouiller dans son sac :
_ Devine ce qui est arrivé à ce pauvre Monsieur « Compte Epargne » ?
La voix de Chris était hautaine. Il attendait une réponse de son ami qui, sans le regarder, finit par laisser tomber : « Je n’en sais rien et je m’en fiche ! »
_ Tu t’en fiches ? demanda Chris perplexe.
_ Parfaitement ! Je m’en fiche ! fit Adam en le fixant étrangement.
Il se leva lentement après avoir mis la main sur sa carte de sortie. Mais Chris le retint par le bras :
_ Sa maison a été détruite par une tornade… et tu t’en fiches ?
A ces mots, Adam se laissa tomber sur le banc, véritablement surpris :
_ Quoi ? Sa maison ? Détruite ? Co… comment ?
Chris ne prit pas en compte son comportement et continua :
_ Par une mini tornade en fait… pendant le cours de maths… tu te rends compte ?
Oui, Adam s’en rendait compte car il avait vu la tornade dans ses pensées. Vu ou fait ! Il ne savait pas en vérité. Déjà, il n’écoutait plus Chris perdu dans son récit :
_ Ecoute ! Je dois rentrer !
Il se leva brusquement. « A demain ! »
Il parti en quatrième vitesse avant même que son ami n’ait pu le retenir :
_ A demain… Chris fit un bref geste de la main en le regardant s’éloigner.
« Que se passe-t-il encore ? » se demanda-t-il, trouvant le comportement d’Adam plus qu’étrange.
Ce dernier se mit à courir comme s’il était poursuivi. Il ne rentra pas tout de suite chez lui mais préféra aller sur le pont à deux pas du collège, d’où il regarda l’eau s’écouler.
« Pourquoi serais-je le fautif ? » se disait-il encore et encore.
Pour lui, cela n’était qu’un hasard. Un énorme hasard ! Il ne voulait plus y repenser. Même s’il ignorait comment faire.
Adam finit par rentrer chez lui, la tête remplie de pensées plus ou moins bizarres.
*
Depuis cet évènement, les rêves d’Adam étaient toujours aussi tourmentés mais les voix se faisaient moins insistantes.
Deux jours après la tornade, un pique nique fut organisé pour fêter la fin de l’année scolaire. Et ce fut au tour de Chris d’être pris à partie par son ennemi personnel, Manuel Flanbois, le meilleur ami de Jeffrey. Ce dernier n’était pas revenu en cours et il y avait fort à parier qu’on ne le reverrait pas avant la rentrée de septembre. On le disait profondément choqué.
Mais cela n’empêcha pas Manuel de reprendre en main le flambeau de la méchanceté. Brun avec des cheveux mi-longs, il avait de petits yeux noirs et rusés. Ses vêtements favoris, un jean et un gros pull n’allaient pas bien ensemble et n’étaient pas à la mode.
Manuel était pire que Jeffrey. Il pouvait s’en prendre à quelqu’un jusqu’à l’humilier totalement. Un jour, il n’avait pas hésité à cacher les vêtements de Chris pendant que ce dernier prenait sa douche. C’est Adam qui l’avait découvert en pleurs dans les vestiaires, un drap de bain autour de la taille. Depuis, les deux garçons étaient devenus des amis.
La classe arriva au bord de la rivière et s’y installa joyeusement. C’est à ce moment là que leur professeure s’aperçut qu’elle avait oublié ses médicaments chez elle, non loin d’où ils se trouvaient.
Soucieuse de ne pas les laisser sans surveillance, elle désigna Manuel comme responsable pendant son absence. Bien sûr, celui-ci décida de profiter de ce moment de répit pour mettre au défi Chris de venir le rejoindre sur un îlot situé face à eux :
_ Alors, tu n’es pas cap’ d’y aller ? Tu as la frousse… ?
Chris secoua la tête en ricanant :
_ Toi ? Aller là bas ? J’ignorai que tu savais nager…
Piqué au vif, Manuel se jeta à l’eau sans demander son reste. Chris se doutait bien que si ce dernier arrivait à destination, il devrait le rejoindre.
Le lieu où ils se trouvaient était assez éloigné de la ville. Personne ne s’inquiéterait de voir un enfant nager dans la rivière. Heureusement l’eau était limpide et calme. On aurait presque pu la boire sans risque.
Dans ce joli coin de verdure, la rivière était bordée par des arbres qui y prenaient racines. On pouvait même grimper sur celles qui dépassaient de l’eau. Cela faisait un très bon coin pour les pêcheurs qui connaissaient bien cet endroit. Les poissons y frayaient volontiers.
Et comme Chris le craignait, Manuel arriva à bon port, souriant et fier de lui. Tous les autres, bien entendu, l’encouragèrent à l’imiter.
_ Tu n’es pas obligé… laisse-le se noyer sur son île cet abruti… dit Adam qui savait son ami capable d’y aller. Tu n’as rien à prouver !
Chris ne l’écouta pas. Il enleva ses chaussures et s’avança jusqu’au bord de la rivière. Mais, à peine eut-il mis un pied dans l’eau qu’il sentit un bien être inouï l’envahir. Il eut l’impression de ne plus faire qu’un avec la rivière.
Lorsque l’eau atteignit ses genoux, Chris s’arrêta. Tous crurent alors qu’il renonçait à relever le défi. Manuel le poussait à le rejoindre en se moquant de lui. Le reste de la classe en faisait autant. Seul Adam s’inquiétait de voir son ami ainsi arrêté dans l’eau.
Mais Chris n’entendait même pas les rires de ses camarades. Il bougeait faiblement ses mains dans l’eau.
« Lève-toi guerrier… Déchaîne les eaux… »
Il ferma les yeux. Il vit la rivière monter encore et encore. Et Manuel coincé sur l’îlot avec les branches d’un arbre pour dernier refuge.
Pendant que son ami restait dans l’eau sans bouger, Adam eut un étrange pressentiment. Cela n’était pas normal.
C’est alors qu’il sentit un liquide froid au niveau de ses pieds. La rivière était en crue.
_ CHRIS ! hurla-t-il tandis que celui-ci ouvrait lentement les yeux. L’eau lui arrivait au cou maintenant. Et Manuel était peureusement agrippé aux branches d’un arbre.
Ni une ni deux, Adam se jeta dans la rivière et ramena Chris sur la terre ferme.
Immédiatement prévenus, les pompiers eurent beaucoup de peine à dégager Manuel de son perchoir. Il ne voulait pas en descendre.
Leur professeure, revenue entre temps, s’en voulut de s’être absentée aussi longtemps. Malgré tout, ses élèves lui soutenaient que Manuel était le seul et unique responsable de l’affaire. Et personne ne pouvait expliquer pourquoi la rivière était montée aussi soudainement.
Chris, quand à lui, ne pouvait pas parler. Il ignorait totalement s’il était dans la réalité. Il avait vu l’eau monter encore et encore. Il avait ressenti comme un grand bien être à son contact. Il ne se souvenait de rien d’autre.
Adam commençait à s’inquiéter de tous ces faits étranges. Et il était persuadé que Chris n’était pas étranger à ce qu’ils venaient de vivre à l’instant.
*
Plus tard, les deux amis rentrèrent en silence. Chris se sentait affaibli.
Adam soupçonneux ne put s’empêcher de le questionner :
_ Que s’est-il passé dans la rivière ?
_ Quoi ? De quoi me parles-tu ?
Ils s’arrêtèrent et Adam continua sur sa lancée :
_ Je sais que c’est toi !
_ Je… je ne sais pas de quoi tu parles !
_ Je t’ai retrouvé évanoui, il y a quelques jours ! Tu es fatigué… ces voix… ces cauchemars… tout ça ne te dit rien ?
Chris le regarda hébété, en se demandant comment Adam savait tout ça :
_Co… comment ?
_ Moi aussi… je…
Leur silence en disait long.
Chris commença à comprendre :
_ Mais alors la tornade… c’était… toi ? Mais comment est-ce possible ?
Adam hocha la tête :
_ La tornade… c’est peut être moi… mais j’ignore pourquoi tout ceci arrive. Il soupira. Et je pense que nous ne sommes pas seuls responsables…
à suivre...